Jénifer Martin (+19)

Île-Perrot

Je ne suis pas née ici,

C’est pourquoi je m’étonne toujours d’entendre bienvenue quand je réponds merci. Que je m’étonne quand je croise cet homme qui court le long de l’école Paul Gérin Lajoie par moins vingt degrés. Sa barbe est pleine de neige, tout comme ses sourcils et son souffle fait une belle vapeur blanche et dense qui me rappelle la brume du grand nord. Moi je marche prudemment en face de lui, emmitouflée dans mon manteau d’hiver. Je manque de tomber pleins de fois quand lui se meut avec autant d’aisance qu’un patineur artistique. On finit par se croiser et malgré le temps, malgré l’effort de sa course matinale, il me salue. Je suis impressionnée.

Je ne suis pas née ici,

Pourtant quand je vais me balader dans la sixième avenue de mon île et que je vois mes voisins rire et partager une table ensemble dans leur jardin, ça me ramène dans ma province bien aimée. Une camarade de mon école me voit et m’interpelle pour me souhaiter une bonne promenade. La femme à ses côtés me sourit à grandes dents et j’aime la sympathie qui se dégage de ce simple échange. De même avec celui de cette gentille marchande de glace qui me rassure en me disant que ce n’est pas grave si ma carte ne passe pas et que je n’ai pas assez sur moi pour faire le compte. Je me promets alors de revenir encore plus souvent qu’avant pour la remercier car je la soupçonne d’avoir rajouté de sa poche le dollar manquant…

Je ne suis pas née ici,

Mais quand je me suis fait frapper par ce véhicule un jour d’été, je me suis vraiment sentie aidée et entourée bien que j’étais seule dans un pays qui est à des milliers de kilomètres de ma famille. Je revois encore cette femme se pencher sur moi avec un parapluie pour me faire de l’ombre et me tenir éveillée en attendant les premiers répondants. Je me revois aussi une semaine plus tard, assise à cette terrasse à discuter et rire avec ces deux couples, dont la femme au parapluie faisait partie. Je me sens soutenue et aidée comme si nous nous connaissions depuis longtemps, comme si je faisais partie de leur famille. Ça me réchauffe le coeur et celui de mes parents.

Je repasse encore parfois à ce croisement boulevard Cardinal léger et rue Boisé des chênes. Et même si j’ai un petit pincement au cœur car je revois l’accident, cela disparaît vite quand je repense à tout le reste.

Alors oui, je ne suis peut-être pas née ici. Mais je m’y sens chez moi.