Jean-Pierre Ste-Marie (+19)

Rigaud

Quand je sentis souffler le vent du changement et que l’envie me prit une fois de plus d’aller voir ailleurs, une première question s’imposa dans mon esprit : Mais où aller?

J’étais de retour depuis dix ans dans mon village natal sur la rive sud de Montréal et j’avais travaillé encore plus longtemps dans les Laurentides. Restait donc l’Estrie, baignée de grands lacs et bosselée par les Appalaches, ou alors l’Outaouais, au nord de la grande rivière du même nom. Étant partisan de l’équilibre en toute chose, je penchai pour le sud-ouest et je me fixai dans la campagne de Vaudreuil-Soulanges, à proximité de la rivière des Outaouais et de la frontière avec l’Ontario.

J’ai toujours trouvé stimulant d’explorer une nouvelle région. Et en y réfléchissant bien, étant moi-même féru d’histoire et descendant direct d’un des militaires du régiment de Carignan-Salières, je me sentais d’autant plus à l’aise ici, au cœur de ces terres ayant fait partie d’importantes seigneuries du régime français.

Car tel avait été le destin singulier de cette région qui dès les débuts de la colonie allait devenir un lieu de passage obligé. D’abord terre de rencontre entre les Français et les Algonquins de l’Outaouais pour le commerce des fourrures, la presqu’île allait devenir, sous l’impulsion du gouverneur Philippe de Rigaud de Vaudreuil, une seigneurie à part entière, tout comme sa voisine, la seigneurie de Soulanges. Toutefois, il faudra attendre le 19ème siècle et la construction des chemins de fer pour assister à un essor notable du village de Vaudreuil.

En ce qui me concerne, l’exploration d’un nouveau secteur ne s’arrête pas simplement à sa géographie, mais aussi à son histoire et à ses lieux phares chargés de souvenirs. Impossible de rester insensible devant les fiers bâtiments qui ont accusé le passage du temps et qui appellent à la réflexion. Comment ne pas frissonner en parcourant les salles de la maison Trestler ou bien celles du Musée régional? Comment surmonter l’émotion confuse qui s’empare de nous quand on allonge le pas dans l’allée centrale de l’église Saint-Michel?

Pour celui qui s’y attarde tel un historien fantaisiste, ces jalons du passé nous parlent encore aujourd’hui. Ils nous racontent à la fois la persévérance de ceux qui ont voulu s’y bâtir une nouvelle vie et plus tard, de ces autres qui ont tout fait pour en préserver la mémoire. Le poète Henri Heine ne disait-il pas que l’historien est un prophète qui regarde en arrière?

Je suis un incorrigible nostalgique. Ce qui ne m’empêche pas pour autant de regarder en avant. Il y a maintenant dix ans que je me suis enraciné dans ma nouvelle région d’adoption. Et je n’ai pas encore senti le besoin de m’en éloigner. Serait-ce parce que j’avance en âge que le vent de changement ne souffle plus aussi fort?

Je me sens simplement bien là où je suis. À ma place. Parmi tous ces gens que je croise matin et soir et les fantômes qui hantent le territoire.

Et ces derniers je ne les oublie pas. Ils nous ont légué un héritage de France qui a perduré jusqu’à nos jours.