Gabrielle Blair (17 à 30 ans)

Notre-Dame-de-l’Île-Perrot

Pour Vaudreuil-Soulanges, j’aimerais…

Pour Vaudreuil-Soulanges, j’aimerais planter un jardin. Oui, un grand jardin. Au lendemain des crues printanières, j’ensemencerais le parcours des rongeurs qui hibernent sous la neige en hiver. Nous avons les mots à la bouche — nous, vieux habitants — pour décrire ces nombreuses phases de la matière. Je sèmerais sur les collines d’Oka quelques fugaces jonquilles. C’est une chose ancienne que cette terre qui se remue sous ma fourche rouillée. Je labourerais jour et nuit mon terroir à grands coups infatigables, comme guider par de mains ancestrales. Les cours d’eau, ruisselant le long de ces bassins versants, abreuveraient mes sillons frais. Du bout de mes doigts, je peignerais les herbes longues des rives où me salueraient au passage quelques silhouettes de pêcheurs languissants. À l’aube, deux saillies émergeraient alors à l’horizon. En temps de grand brouillard, cet endroit mythique, muse de Félix, prend des airs fort intimidants.

Moi, mes souliers emboués traverseraient les villages d’antan. Le vent me chuchoterait un hymne à l’oreille, le récit d’un été qui approche. Les gens viendraient de loin voir les fruits mûrs de mon labeur. Les indésirables y trouveraient aussi leur place ; je laisserais pousser à leur guise les vivaces, comme les têtus trèfles blancs et les véroniques tenaces. Là, là-haut, les outardes vagabondes annonceraient leur retour imminent. Elles piétineraient mon beau travail, y poseraient de nouvelles racines. De petits oisillons se blottiraient dans leur nid où de fidèles générations ont depuis longtemps laissé leur trace.

Je ferais construire dans mon jardin un moulin qui accueillerait la brise citadine. Noble invention que ce cerf-volant, qui porterait jusqu’aux berges environnantes le son de ma voix. Les vieux forts, toujours en train de philosopher, s’échangeraient tour à tour des bêtises. Chaque année, les enfants s’y recueilleraient, grandiraient à l’allure des arbres. Ils y reviendraient au fil des saisons comme ces oiseaux migrateurs, transportant sur leurs vêtements de nouvelles semences venues de terres étrangères.