Saint-Zotique
JOURNAL D’UNE JEUNE FILLE DE 13 ANS
Saint-Zotique, août 1888
Au dernier jour de classe en juin dernier, je suis allée à l’école du rang St-Thomas. Faut dire qu’on a une institutrice bizarre… mademoiselle Mabel. Sans être une beauté, elle ressemble plus à une sorcière. Ce jour-là, elle nous a accueilli au son de sa tige de sureau vidée de sa moelle et transformée en instrument de musique.
Nous étions quelque peu indisciplinés. Mademoiselle Mabel nous demande de mettre nos crayons de plomb dans son chaudron sur le poêle en fonte. Elle y ajoute un liquide collant et visqueux, une poudre blanche dite de « perlimpinpin » et quelques brindilles. Sous l’action de ce mélange détonant, elle donne un coup de sa tige de sureau, plonge sa main dans la marmite et en retire des craies blanches impeccables de propreté.
Nous retournons à nos places et découvrons un papier noir sur nos pupitres déplacés les uns face aux autres, alors qu’ils sont habituellement face au bureau de la maîtresse posé sur une estrade. Mademoiselle Mabel nous propose une activité de dessin. Étape par étape, elle nous amène à créer un paysage avec une maison et une pleine lune. De façon inattendue la craie blanche se teinte selon la forme du dessin, la lune naturellement est blanche mais la maison est rouge et les arbres sont verts, étrange! De plus, la maîtresse nous demande de dessiner le vent. Mon ami Pierre demande : Comment peut-on dessiner du vent sur un papier? C’est simple dit-elle, dessinez une tornade; à la base d’un nuage, faites des tourbillons. Je vous promets que vous verrez une tornade d’ici la rentrée scolaire en septembre prochain.
Je me souviendrai toujours de cette journée. Elle avait raison, hier j’ai vu la tornade, j’ai eu la chair de poule. La maison de monsieur Pilon est déplacée, le lit de plumes de monsieur Daoust est accroché aux arbres du voisinage. Plus surprenant encore, l’école a disparu, il ne reste que le clocheton.
Je doute qu’on revoit mademoiselle Mabel.

