Émilie Talbot (12-18)

L’Île-Perrot

T’en souviens-tu?

Elle est là, assise dans son fauteuil en cuir noir. Elle attend impatiemment que je lui raconte mon histoire, comme si elle ne l’avait jamais entendue. Sans plus tarder, je commence à parler.

« La vie reprend son cours. Les fleurs éclosent, laissant jaillir leurs pistils. Les couleurs apparaissent progressivement; les paysages ne sont plus grisâtres comme ils l’ont été il n’y a cela que trois semaines. Les oiseaux, ayant séjourné dans le Sud pendant la saison hivernale, commencent tranquillement à s’installer ici, dans la forêt de Rigaud.

Une odeur enivrante nous parvient; celle de la nature. Celle des arbres et des fleurs mélangés. Nous pouvons entendre les gazouillis d’oiseaux, un de nos sons préférés. Nous avançons encore quelques pas, et voilà. La vue est de toute beauté. Une heure déjà! Une heure de marche dans cette jolie étendue boisée longeant les champs, afin d’avoir comme récompense une vue exceptionnelle sur les paysages de Vaudreuil-Soulanges.

Certes, cette vue est une merveilleuse récompense. Or, elle ne dépasse pas le sentiment que l’on a en octobre lorsqu’on arrive en bas de la montagne et qu’il y a le festival des couleurs. Un chaleureux brouhaha nous conduit souvent jusqu’aux gentils commerçants. C’est immanquable: nous en ressortons toujours les mains pleines! »

Une petite larme s’échappe de mon œil droit. Tout cela me rend si nostalgique.

« Te souviens-tu maman, lorsque nous habitions à l’Île-Perrot?

Te souviens-tu des nombreuses soirées que nous passions à admirer les couchers de soleil sur le quai tout près de chez nous?

Te souviens-tu maman, lorsque papa nous apportait au petit café cafexo après nos fameuses randonnées dans la forêt de Rigaud?

Te souviens-tu quand papa et toi me faisiez pratiquer dans les rues de l’Île-Perrot, de NDIP et de Pincourt lorsque j’avais encore 17 ans et que j’apprenais à conduire?

Te souviens-tu maman, lorsque chaque automne, nous allions à la ferme Quinn pour cueillir des pommes? »

Je doute qu’elle se souvienne de ces précieux moments. Non, évidemment qu’elle ne s’en souvient pas. Atteinte de la maladie d’alzheimer depuis une dizaine d’années, tout ce qu’il reste à faire, c’est de lui raconter régulièrement de petites anecdotes de mon enfance, dans l’espoir que, miraculeusement, elle se rappelle du merveilleux sentiment de chez-soi que nous avions lorsque nous habitions dans la région de Vaudreuil-Soulanges…