Arianne Denis (+19)

Coteau-du-Lac

La dame sélectionna avec soin son bleu le plus limpide. Ses mains agiles croisèrent les fils de manière à joindre en pointe la rivière des Outaouais et le fleuve Saint-Laurent. Bercée par sa chaise autant que par les chamailleries des outardes, elle contempla son panier de laine. D’un geste vif, elle saisit son fil brun-doré, qu’elle superposa au bleu pour former les canots d’écorce mohawks. Le souvenir de ses propres explorations du Canal-de-Sainte-Anne-de-Bellevue et de son écluse la fit sourire. Ses pensées dérivèrent à la Pointe-du-Moulin, guidant naturellement ses mains vers les fils gris de pierre pour représenter le bâtiment emblématique, et blanc de chaux en souvenir de la maison du boulanger, dont elle avait goûté le pain lors d’une exposition artistique l’été dernier.

Ses pensées remontèrent le courant jusqu’à rejoindre les terres agricoles de ses ancêtres. Elle se sentit fière de ses neveux et nièces, faisant aujourd’hui vivre La Belle de Coteau-du-Lac et le Jardin grâce à leurs viandes et leurs légumes biologiques, mais aussi par leurs festivals de fleurs et labyrinthe d’Halloween. La dame repensa à son père qui aurait ri, voyant sa descendance courir sur ses terres, déguisée en zombie! Au chant des outardes et des flots tranquilles derrière elle, s’ajouta soudainement la musique provenant du Pavillon Wilson. Combien de nouveaux artistes y avait-elle découverts? Ses aiguilles dansèrent en cadence, ajoutant les couleurs au rythme de la mélodie et de ses pensées.

Le mont Rigaud surgit sous ses doigts. Blanc piqueté de skieurs colorés par-ci, moucheté d’orange et de rouges automnaux par-là, agrémenté de son champ de patates et surmonté de son observatoire et de sa croix. À ses pieds s’étalèrent les Sentiers de L’escapade et la Sucrerie de la Montagne. Elle se faisait un devoir gourmand de la visiter tous les ans! Ses petites filles se ruèrent au milieu de ses souvenirs. Elle ajouta sur l’autre versant de la montagne le Collège Bourget, chef-lieu d’incroyables aventures que les adolescentes se plaisaient à lui raconter.

La dame se réjouit en voyant les balles de laine rétrécir. Un petit saut à Vaudreuil-Dorion s’imposait! Elle en profiterait pour faire du lèche-vitrine, sport dont elle ne se lassait pas et qui lui permettait de développer de nouvelles amitiés au hasard des rencontres. D’ailleurs, pourquoi ne resterait-elle pas dans ce bouillonnement de diversité culturelle le temps d’un souper? Les restaurants y poussaient comme des champignons : indien, thaïlandais, irlandais, japonais, américain, libanais, italien… Le tour du monde en une seule ville. De quoi chanter que ses souliers ont beaucoup voyagé!

La dame posa ses aiguilles et admira son ouvrage. Le sourire aux lèvres, elle enfila cette nouvelle robe en tricot qui la représentait si bien, elle, une enfant de Vaudreuil-Soulanges.