Alexe-Sandra Daigneault (19 ans +)

L’Île-Perrot

Le troll du pont de Vaudreuil-Dorion

Si on en croit la légende, un troll se cacherait sous chaque pont. Et même si on souhaiterait se méprendre, celui de Vaudreuil-Dorion ne fait pas exception.

Le troll qui y habite serait né entre deux montagnes, à une époque où les villes n’étaient encore que des campagnes. De villages en forêts, il allait là où son estomac le menait, dévorant les récoltes cultivées à la sueur du front des fermiers. Chats de gouttière, fruits des champs, épis de maïs et petits enfants : il mangeait tout ce qu’il pouvait trouver. Son plat préféré était cependant – et de loin! – la fameuse tourte en pâté.

Un jour où son ventre grognait, il fit donc un étrange projet : couvrir une île de ces oiseaux pour s’en faire un banquet. Étonnamment, il y arriva sans mal. Après quelques semaines d’efforts, il entamait son festin royal. Tel fut toutefois son appétit que toutes les tourtes y passèrent, si bien qu’on ne trouve plus, depuis, de quoi faire une tourtière.

Réalisant sa démesure, le troll repu et gêné se cacha en lieu sûr. Il se terra aux tréfonds de l’île, qui devint sa masure. Afin de digérer sa honte il y dormit longtemps, jusqu’à ce que les hommes des villes y érigent un monstre de ciment. En mémoire de son terrible casse-croûte, on l’appela pont de l’Île-aux-Tourtes.

À son réveil, le troll fut surpris par les camions et les voitures. Non seulement haïssait-il le bruit, mais l’odeur était une torture. D’abord apeuré, il fut bientôt gagné par une colère vive, et se mit à assaillir poutres, tablier et solives. La structure perdit quelques morceaux, que les hommes recollèrent, en se demandant pourquoi tout tombait en poussière. Le troll têtu répéta alors ses ruées, jusqu’à ce que les hommes médusés bardent le pont d’acier. La pauvre bête dût ainsi avouer sa défaite : puisqu’il ne pouvait mettre les hommes en déroute, il vivrait à jamais sous le pont de l’Île-aux-Tourtes…