Alexa Laplante (+19)

Coteau-du-Lac

Je me souviens

Te souviens-tu ? De la petite fille que tu as accueillie sans réellement connaître ?

Ce n’était qu’une chétive âme tremblante lorsque froidement déracinée, elle fut replantée à la hâte. Un environnement étrange et inconnu pour une pousse à peine consciente de sa propre existence. Un poisson dans un verre d’eau soudainement jeté à l’océan.

Pourtant, tu l’as prise comme les autres, celle qui ignorait l’utilité de sa présence.

Elle a grandi de façon un peu recousue, poncée sur un modèle trop large, rafistolée en courtepointe un peu disparate.

Pourtant, elle a joué dans les cours d’école comme les autres. Elle s’est roulée dans la neige et la glace comme ses amies. Elle s’est balancée, salie, meurtri les genoux, arraché une dent ou deux sur le coin d’une glissade de parc. Elle s’est réjouie lorsque le restaurant du coin offrait des frites aux enfants à l’Halloween, a pleuré lorsque son chat s’est perdu, a fait la moue lorsque les friandises n’étaient pas dans le budget familial.

Elle a regardé la nuit se glisser par sa fenêtre, ne se doutant pas qu’elle jouait dans le sable pour une dernière fois.

La petite fille que tu as accueillie sur ton territoire s’endormira, et se réveillera bientôt dans un lit trop grand pour elle. On lui offrira un chapeau qui lui tombe sur les yeux, et, dans le miroir, elle devra se demander quel visage est réellement le sien.

À l’aube des jours écoulés, qui demeurera avec elle pour en partager le goût amer ? Le vortex perpétuel du temps entraîne un et tous avec lui et ne laisse que poussière sur ta terre.

Un jour peut-être, serais-je la seule à me rappeler des tourbillons de feuilles dansants sur les pavés. Des champs vierges que l’on pouvait traverser de nos bottes déjà souillées, de l’odeur alcaline des sols fraîchement trempés par la pluie.

Lorsque épuisée un peu par la vie, froissée mais comblée d’un cheminement effréné, peut-être serais-je seule à me pencher sur le berceau de mes souvenirs rapiécés – des nuits d’amour timide et juvénile où l’univers offre son silence comme de l’eau à un assoiffé, des horizons où le soleil laisse flamber ses dernières lueurs rutilantes.

Et toi, Soulanges, te souviendras-tu ?